exposition

« Retour » – Jacques TARIS

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Du 15 octobre au 15 novembre 2014

VERNISSAGE LE JEUDI 16 OCTOBRE – 18H30 à Porte44/MC2a

 

BLANCA project est le titre générique des divers ouvrages réalisés et montrés par Jacques Taris depuis 2006. RETOUR est le nom de cette « Configuration 06 » qui présentera à Porte44 une série d’assemblages où se tressent le sous-réalisme rural, le chamanisme amérindien et le fétichisme vaudou.

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Jacques Taris, un artiste « rural »

Dans la nouvelle série d’œuvres « Retour » de Jacques Taris on retrouve des matériaux, des matières, des formes qu’il a depuis longtemps expérimentés. On retrouve aussi des thèmes de prédilection, des mythologies, des obsessions et des choix artistiques témoignant de la constance de son travail créateur. Ainsi la récurrence du format, du bois, du charbon, de la cendre comme éléments fondamentaux de la création renvoie à une sorte de rituel complexe, d’une grande étrangeté.

 

Les boîtes carrées avec leur profusion de gris-gris, d’amulettes, de reliques évoquent immédiatement une présence d’ordre magique, voire sacrée. Par exemple, un crochet tout rouillé suspendu à une chaîne rudimentaire apparaît non comme un objet métallique particulier ayant eu dans un passé encore proche un usage précis, mais comme une griffe d’ours précieuse pieusement exposée pour son action apotropaïque ou talismanique. Nombre d’indices participent ainsi de cette dimension de l’œuvre de Jacques Taris, telles les pattes de rapace, les coquilles d’huître, etc.

 

Ce qui se manifeste aussi avec force dans ces œuvres, c’est une certaine exhibition du macabre : vestiges et débris divers, restes d’ossements, fragments de squelettes, objets ayant appartenu à des personnes mortes donnent à cet ensemble de boîtes un aspect poignant de reliquaire. Certes ce ne sont pas des mâchoires ou des crânes humains qui sont conservés comme reliques ou trophées. Mais cet alignement de boîtes qui font penser à de bizarres petits cercueils carrés, s’il n’est pas l’expression d’un art funéraire classique, apparaît comme l’affirmation d’un art « lipsanique », à savoir un art ouvrant sur un univers plastique fait de réemploi de fragments de restes, de reliques partielles, et profondément mélancolique, dont Jacques Taris semble bien être un officiant vraiment singulier.

 

Cette exposition ne donne cependant pas le sentiment d’une funèbre lamentation sur le grand thème de la Vanité. C’est qu’en effet une troisième dimension s’y manifeste. Jacques Taris s’est parfois présenté lui-même comme un « artiste rural ». Ce qui ne signifie pas « artiste du monde rural » : il n’a visiblement pas le projet de représenter d’une manière vériste ou sociologique la campagne dans laquelle il a grandi. Il n’est pas davantage un « artiste du village » : si chronique il y a dans son œuvre, elle est transcendée par tout un ensemble de conceptions et d’expériences patiemment assimilées, qui en oblitèrent de façon radicale les traits réducteurs. Il n’empêche, l’appartenance originelle à cette campagne isolée, bordant au sud la grande zone forestière de la Double saintongeaise, à ce monde rural encore profondément archaïque, constitue une expérience essentielle, à laquelle s’ajoute l’expérience du dénuement, dont on retrouve les traces dans nombre de ses travaux. De là, peut-être, le goût du bricolage, au sens de ce que le vieux dialecte désignait comme le fait de « busoter », c’est-à-dire effectuer un travail qui s’applique à des riens, minutieux sans doute mais sans objectif évident, dépendant des matériaux dont on dispose, des menus objets ou accessoires que l’on trouve au hasard et que l’on arrange tant bien que mal, pour un résultat provisoire, périssable et tout à fait hors du temps.

 

Dans les boîtes qui nous sont présentées se manifeste ainsi une esthétique relevant de cette économie de la cueillette et du « busotage » : tout ce qu’on ramasse ou récupère peut alimenter la création, peut un jour avoir son utilité. La chose insignifiante, le reste, le débris, l’objet oublié, tellement rouillé que l’on ne devine même plus son usage passé, cela rappelle et transfigure un certain travail paysan encore autarcique, fondé sur la conservation obstinée des choses dans l’hypothèse d’un recyclage futur ; un travail inventif parfois et qui déborde poétiquement sa stricte finalité quotidienne. C’est le cas du rafistolage du robinet, de l’aspiration et du départ de lance d’une vieille sulfateuse Mondon avec un bandage de lanières de tissu et de caoutchouc, dont l’efficacité pratique était sans doute réelle, mais qui évoque surtout une sorte d’opération magique, exprimant elle-même un véritable désir plastique. C’est dans cet esprit que Jacques Taris l’a réutilisée en l’état, comme les morceaux de bois usagés, les bouts de planche truffés de pointes ou de vis rouillés, les tissus fatigués, les plaques bizarrement pliées, les fils de fer savamment tordus ou les barbelés en voie de désagrégation. Il faut voir dans sa volonté de rendre hommage à une beauté quasiment invisible, assez immémoriale, et bien sûr définitivement ignorée, le signe d’une grande admiration pour ces paysans ou ces artisans d’autrefois, qui travaillaient parfois en artistes.

 

Ce que Jacques Taris magnifie dans sa propre création n’a évidemment rien de folklorique. Et les boîtes ne peuvent se réduire à un goût « rural » de la récupération ou de la réhabilitation fétichiste des restes d’un monde évanoui ; dans leur modestie presque artisanale elles expriment l’intimité de l’enfance émerveillée avec ceux dont les traces continuent d’être parmi nous.

Jean-Claude Cavignac, Marsas, 20 août 2014

 

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