Evento: lettre au Maire de Bordeaux

Opéra-1 red

Bordeaux, le 1er juillet 2009

Monsieur le  Maire de Bordeaux,

Tout en reconnaissant l’intérêt public d’EVENTO (nos élus ont voté quasi unanimement le budget demandé) je m’autorise à vous interroger, vous, vos collaborateurs, ainsi que l’équipe artistique de la manifestation, sur l’approche faite de ce projet auprès des personnes concernées: les bordelais.

J’ai le sentiment, avec nombre d’acteurs culturels de cette ville, d’artistes, d’hommes et de femmes de la société civile, engagés au quotidien dans des actions de quartiers, de proximité, qu’ EVENTO nous est d’avantage imposé que choisi.
Respectant votre désir légitime d’orchestrer une manifestation d’envergure internationale, il me semble que vous auriez pu exploiter la dynamique fertile née de la candidature de “Bordeaux capitale européenne de la culture”.

Pendant des mois, durant 2007 et 2008, défendant avec passion compétences et convictions les chances de notre ville, de son département, de sa région, des ateliers participatifs, thématiques et localisés se sont réunis pour imaginer la cité de demain.

Vous le savez, ces ateliers ont regroupé un grand nombre d’acteurs de notre agglomération, dans tous les domaines de la vie associative, culturelle, économique, sportive…., au-delà de tout clivage. Là fut la force de ce projet fédérateur qui a suscité un immense espoir dans la collectivité.

Parallèlement la municipalité, a projeté dès 2007, la création d’un Grand événement.

A mon sens, elle aurait dû attendre la décision du jury européen avant de décider de l’avenir.

Il y avait un bilan à tirer de cette candidature perdue, qui nous aurait permis de dépasser, ce que certains ont vécu comme une frustration. Il n’a pas eu lieu et voilà EVENTO sur les tabloïds.

Cette précipitation pose question, celle du contrat moral entre le projet EVENTO et les bordelais.

Ces derniers ne demandaient qu’à vivre une dynamique, réactive, issue de l’esprit “2013”.

Il n’en a rien été et la proposition EVENTO s’appuie sur la seule maîtrise et créativité de quelques personnalités du monde de l’architecture et de l’art contemporain.

Loin de moi l’idée de mettre en question leurs compétences et leurs savoirs faire, mais je pense qu’en vous appuyant, également, sur le tissu associatif culturel social d’insertion professionnelle, très riche en forces vives et très fertile en propositions, vous pouviez démontrez qu’une ville pouvait “faire de l’événementiel” de haute qualité au profit d’un projet social.

Ne me croyez pas si naïf au point d’imaginer que la manifestation EVENTO, aussi bien enveloppée soit-elle, puisse faire illusion et répondre aux aspirations culturelles de notre cité, qui, du campus aux quartiers les plus extrêmes, du nord au sud, lutte avec acharnement, pugnacité et invention, au coeur du manque et de la précarité, à l’expression artistique .

Vrai, qu’au milieu de cette problématique, EVENTO a allure de pâtisserie gourmande au coeur de la période de disette que nous traversons.

EVENTO risque de donner l’impression, fausse sûrement  (mais on ne prête qu’aux riches), de débarquer avec son cabinet parisien et international en territoire conquis, prêt à en découdre avec notre plus grande place d’Europe, notre friche militaire, nos monuments mémoriaux, notre salle de concert du Grand-parc fermée pour cause d’amiante et de pollution sociale, notre bunker sous-marin……ou autres  fantômes quichottiens.

EVENTO pourra repeindre la ville en vert, noir, violet ou rose – ce qui ne sera déjà pas si mal-,  au lendemain de son passage,  il ne restera que traces dans la mémoire de ses habitants et de ses murs.

Certes on peut se féliciter d’accueillir à Bordeaux une nouvelle et grande manifestation de renom international, mais ce ne doit  pas être le seul but recherché (l’époque SIGMA appartient au passé, ne réveillons pas les fantômes), au cœur d’un monde en quête de développement durable.

Je n’imagine pas que ce soit le vôtre non plus.

Ma position n’est ni plaintive ni revendicative. Votre politique a ses choix que je respecte, c’est la règle de la démocratie, mais je n’en reste pas moins interrogatif quant aux arbitrages culturels d’une municipalité, qui n’a pour réponse à donner à ses opérateurs  que:

“Il n’y a pas d’argent”.

Enfin, pas pour tous!

Et c’est bien là tout ce qui nous sépare, une culture a deux vitesses.

Avec pour acteurs, ceux d’en haut, et ceux d’en bas.

C’est à vous, Monsieur le Maire, avec tout le respect que je vous dois, ainsi qu’à votre fonction, d’en réduire la fracture.

Puissent ces quelques réflexions nourrir un débat public qui n’a pas eu lieu, et nous permette d’envisager la deuxième édition EVENTO dans une dynamique participative.

Je vous prie de bien vouloir accepter mes sincères salutations,

Guy LENOIR
Directeur artistique
MIGRATIONS CULTURELLES aquitaine afriques (1)
 

(1) L’association, artistique et culturelle, MC2a, née en 1989 à Bordeaux, bénéficie pour l’année 2009 d’une subvention municipale de 12 000 euros. Ce qui équivaut au 250° de celle allouée à EVENTO!

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